Les élèves de la classe Sciences et Patrimoine suivent cette année un parcours artistique et culturel original autour du thème du son en lien avec le service du patrimoine d’Autun. Leur enquête les conduit au cœur d’Autun médiévale, à la recherche des bruits, des voix et des ambiances sonores qui animaient la ville entre le XIIᵉ et le XVᵉ siècle.
Sous la forme d’une véritable exploration sensorielle, le projet pose une question fascinante : « Que pouvait-on entendre dans les rues d’Autun au Moyen Âge ? » Les jeunes chercheurs plongent ainsi dans l’univers sonore d’autrefois — le martèlement des forgerons, les appels des marchands, les chants religieux montant de la cathédrale ou encore les cloches rythment la vie quotidienne.
À travers les métiers d’artisans, les fêtes et cérémonies, mais aussi les scènes de vie ordinaire, ils redécouvrent un patrimoine immatériel souvent oublié, aussi fragile et éphémère que la couleur ou le parfum.
Dans le cadre de ce projet, ils ont eu la chance de rencontrer le vendredi 21 novembre Mylène Pardoen, archéologue du son.
À première vue, rien ne prédestinait Mylène Pardoen à devenir l’une des figures majeures de l’archéologie du son en France. Elle interrompt ses études en classe de seconde, avant de s’engager dans l’armée. Pendant plusieurs années, elle y exerce comme mécanicienne sur hélicoptères, un métier exigeant où la précision technique et l’écoute attentive sont vitales. Une expérience fondatrice, qui façonnera sa manière d’appréhender le monde sonore.
Plus tard, portée par sa passion pour l’histoire, elle décide de reprendre le chemin des études et de s’engager dans un doctorat consacré à la musique militaire. Son expertise originale la conduit au Musée des Invalides, où elle travaille à la sonorisation de plans de bataille, reconstituant l’atmosphère acoustique des champs de guerre d’autrefois.
C’est dans ce sillon qu’elle forge sa spécialité : l’archéologie du paysage sonore, une discipline émergente qui cherche à restituer les univers acoustiques du passé. Pour elle, le son est un matériau historique à part entière, un marqueur essentiel des activités humaines, du quotidien .
Cette expertise l’amène tout naturellement sur l’un des chantiers patrimoniaux les plus sensibles de ces dernières années : Notre-Dame de Paris, après l’incendie de 2019. En tant qu’experte scientifique, elle y réalise plusieurs missions , allant de la restitution des ambiances sonores de la cathédrale à l’enregistrement minutieux du travail des artisans mobilisés pour la restauration. Un travail essentiel pour conserver la mémoire immatérielle d’un chantier historique.
Écouter le son du passé ! l’idée semble relever de la science-fiction. Mais pour Mylène Pardoen, archéologue du paysage sonore, c’est une réalité scientifique. Depuis des années, elle redonne vie à des ambiances disparues, qu’il s’agisse d’un chantier médiéval comme Guédelon, de champs de bataille historiques ou encore de l’intimité sonore de Notre-Dame de Paris après l’incendie.
Dès le début de son intervention, elle a rappelé les bases scientifiques d’un son : un son n’existe que grâce à trois éléments indissociables — un émetteur, un récepteur, et un milieu porteur. Ce phénomène physique, défini par sa période et sa fréquence, constitue pourtant un patrimoine à part entière. Un patrimoine sonore, par nature immatériel, fragile, souvent oublié.
Pour expliquer son travail, elle a défini un certain nombre de termes. Le paysage, dit-elle, est « une portion de territoire embrassée d’un seul regard ». Le paysage sonore, en revanche, est plus complexe : il n’a pas d’éléments fixes, pas de lignes, pas de contours. Il s’agit d’un environnement en mouvement constant, sans cesse recomposé et pourtant profondément ancré dans la vie quotidienne.
Le rôle de l’archéologue du son ? « Chercher les traces acoustiques dans les écrits, les images, et proposer des restitutions virtuelles ». Le défi est immense : retrouver des sons qui ont disparu depuis des siècles, et les faire entendre aujourd’hui.
Pour cela, Mylène Pardoen s’appuie sur un arsenal technologique précis : microphones, enregistreurs numériques, logiciels spécialisés, haut-parleurs, casques, outils de spatialisation. Mais tout commence bien avant la technique.
Sa méthode, rigoureuse, repose sur trois grandes étapes.
1. Collecter et croiser les sources :
Elle rassemble textes littéraires, dossiers administratifs, rapports, procès-verbaux de police, iconographies… Autant de matériaux qui donnent des indices sur les sons d’autrefois. Mais ces documents ne sont jamais pris tels quels : elle les confronte systématiquement pour corriger les erreurs et consolider la cohérence historique.
2. Enregistrer et traiter le son :
Sur le terrain, elle capte des sons contemporains qui servent d’analogues : bruits d’outils, voix, matières. Les enregistrements d’artisans, notamment, sont au cœur de sa démarche. Le son est ici une information, qu’il faut trier, nettoyer, organiser.
3. Diffuser, spatialiser, restituer :
En laboratoire, elle restructure le paysage sonore, place chaque bruit dans l’espace, compose une ambiance fidèle à la réalité passée
A la fin de son intervention, les élèves ont posé de nombreuses questions :
-A-t-elle été sollicitée par le cinéma ? Non, dit-elle, mais des documentaristes ont fait appel à son expertise.
- A-t-elle travaillé ailleurs qu’à Guédelon ? Oui, notamment sur Notre-Dame, où elle a réalisé des missions mémorielles essentielles pour comprendre l’ambiance acoustique de la cathédrale et enregistrer les artisans présents sur le chantier.
Elle confie aujourd’hui qu’elle partira à la retraite l’an prochain, sans intention de s’éloigner de ce monde sonore qu’elle a contribué à ouvrir. Son travail a permis de rappeler une évidence : pour comprendre un lieu patrimonial, il ne suffit pas de le regarder. Il faut aussi apprendre à l’écouter.
Entre science, histoire et création artistique, ce parcours artistique et culturel mené avec le service du patrimoine d’Autun offre aux élèves une autre manière d’écouter leur ville — et de comprendre comment les sons d’hier ont façonné l’identité du quartier médiéval d’aujourd’hui.

















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