La vie des grands savants fait-elle partie de la Science ?
La cérémonie
de remise des prix de la 7e édition du concours de nouvelles scientifiques
organisée par l’ENSTA ParisTech le jeudi
31 mars à 19h, en présence des membres du jury et des partenaires s'est
ouverte par une table ronde intitulée : La
vie des grands savants fait-elle partie de la Science ?
Laurence
Décreau, organisatrice du concours lance le thème de la table ronde :
« les scientifiques célèbres ont une face glorieuse qui a tendance à cacher la face triviale de leur
vie quotidienne » . Quel monde ressentaient-ils de leur vivant ?
Cette
question est importante : du
scientifique, on ne retient que les travaux, les équations mais pas grand chose
de sa vie. Le sujet du concours cette année est de rendre à la Science son humanité ce qu'a fait Jérôme Ferrari dans
le "Principe".
Mme Décreau
salue la participation grandissante des filles au concours. Des femmes savantes
ont également été mentionnées : Marie Curie, Sophie Germain, Emilie du
Chatelet.
De
nombreuses nouvelles ont été envoyées cette année ( 800 contre 600 l'année
dernière).
Après un
message de bienvenue de l'ENSTA (École Nationale Supérieure des Techniques
Avancées), qui par ce concours représente le lien entre les sciences dures et
les sciences humaines, Laurence Décreau, organisatrice du concours nous
présente les membres du Jury :
* Jérôme Ferrari, romancier, né à Paris de parents
corses. Agrégé de philosophie et titulaire d'un DEA d'ethnologie, il est
depuis septembre 2015 professeur de philosophie en classes préparatoires à
Bastia et dans le secondaire à Ajaccio. Lauréat du prix Goncourt 2012 pour Le
Sermon sur la chute de Rome, iI a récemment publié Le Principe,
ainsi nommé d’après le « principe d’incertitude » du physicien
Heisenberg qui est le héros de ce livre.
Jérôme
Ferrari a un goût prononcé pour la physique quantique et l'épistémologie.
Vulgarisateur d'Heisenberg, il présente avec lui des affinités intellectuelles.
* Étienne Klein : physicien, directeur de
recherches au CEA. Spécialiste de la physique quantique et de ses grands
découvreurs. Il a consacré un livre biographique à Ettore Majorana, physicien
italien, spécialiste des particules. Il considère que l'étude de la vie privée des grands génies permet de mieux
comprendre leurs travaux. Il est important de séparer du contexte la part d’activité
purement cérébrale du découvreur.
*Françoise Balibar, professeure émérite de
physique à l’Université Paris 7 Denis Diderot. Physicienne, historienne des
sciences. Elle a consacré une grande partie de sa vie dont sa thèse à Einstein.
Il lui semble important de mêler réflexions scientifiques et littéraires.
C'est ainsi qu'elle s'est lancée dans la
traduction des correspondances d'Einstein. Elle s'est également beaucoup
intéressée à Sophie Germain, qui s'est battue pour entrer dans le domaine fermé
des scientifiques masculins .
S
Germain se procure les cours de l'École polytechnique,
réservée aux hommes, en empruntant l'identité d'un ancien élève, Antoine
Auguste Le Blanc. Elle envoie ses remarques à Joseph-Louis Lagrange,
qui finit par découvrir la supercherie en la convoquant du fait de ses
brillantes réponses. Il devient l'ami et le mentor de la jeune fille. Elle
entretient une correspondance avec Gauss qu'elle tente plusieurs fois de sauver
pendant les campagnes napoléoniennes. Deux nouvelles présélectionnées lui ont
été consacrées : l'une sur son identité masculine, l'autre sur sa
correspondance avec Gauss.
*Hugo Boris a étudié les
sciences politiques et le cinéma. Il travaille dans une école d'audiovisuel.
Dans son dernier roman, Trois
grands fauves, c’est au tour du lecteur d’être placé face à trois
prédateurs : Danton, Hugo et Churchill. Trois héros qui ont en commun d'avoir
été confrontés très tôt à la mort, d'avoir survécu et d'y avoir puisé une force
dévorante.
Mme
Décreau lui a demandé quel était le point commun entre es différentes nouvelles lues.
Les
savants présentés dans les nouvelles
sont des personnages romanesques .
Leur
point commun : une géniale
inadaptation au monde.
Comment définir un
génie ?
Le génie ne cherche pas
à s'adapter mais à adapter son environnement, c'est-à-dire à faire rentrer son
environnement dans un théorème, ce qui se paie au prix de l'inadaptation.
*
Guillaume Lecointre , biologiste, chercheur et professeur
au Muséum national d’Histoire naturelle où il dirige le département «
Systématique et Évolution ». C'est un systématicien, soit une personne qui gère
les rapports entre les concepts des noms et des choses ou un scientifique de la
classification. Il a participé à une œuvre collective sur Darwin.
Particulièrement impliqué dans la vulgarisation scientifique, il était entre
1995 et 2005 chroniqueur pour le journal Charlie-Hebdo dans lequel il
écrivait des articles de vulgarisation scientifique.
G
Lecointre lance un débat : Pourquoi
résumer en une seule personne une théorie collective comme celle Darwin ?
Souvent,
on tente d'héroïser les grands trouveurs et finalement, le fait d'être
considéré comme un génie ou non dépend du social. Ce qui fait qu'un génie est
considéré comme tel, c'est en fait qu'une idée scientifique doit passer par un
filtre. Il faut donc qu'elle soit validée par une communauté scientifique. Quel est le métier du scientifique ? être
assis sur les épaules de son prédécesseur et s'inscrire dans une perpétuelle
demande de remise en question : c'est donc une aventure humaine collective !
Étienne
Klein ajoute qu'il y a beaucoup de génies oubliés, inconnus. Certaines idées
géniales non validées par une communauté scientifique sont tombées dans
l'oubli. Il prend l'exemple des ondes gravitationnelles qui étaient prédites
par Einstein mais dont la présence n'a été démontrée que maintenant.
Le débat se poursuit
par la problématique suivante : « quel est l'intérêt de connaître la vie
privée des scientifiques ? »
A
priori aucun … ou bien découvrir comment une idée vient de manière non
rationnelle. Jérôme Ferrari prend l'exemple d'Einstein, qui, à quinze ans,
s'interroge sur le fait que la lumière peut émettre une autre lumière, ce qui
conduira à sa théorie de la relativité en 1905. Einstein, malheureux dans son
lycée précédent, parle de son changement d'établissement comme d'un sauvetage.
Il est indéniable que le contexte a joué.
Françoise
Balibar poursuit le débat en disant que jamais les scientifiques n'expliquent
de quelle manière leurs découvertes ont été effectuées. Souvent, dans les
milieux scientifiques, ils n'aiment pas en parler. La littérature vient souvent au secours des Sciences muettes pour
restituer le présent de la découverte c'est à dire le contexte.
Jérôme
Ferrari s'est interdit dans le Principe d'imaginer des scènes qui n'ont pas
existé, craignant le ridicule éternel face à la science.
La
réflexion littéraire sur l'action scientifique ne peut être faite que par
quelqu'un de l'extérieur comme un homme de lettres. Darwin continue à être
contredit. Un scientifique n'a pas à prendre en compte les pressions
politiques, économiques et sociales. La
Science doit être autonome !
Il
faudrait une histoire des Sciences à développer dès le secondaire. Pour
E.Klein, l'histoire des Sciences est un champ infini .
Il
propose donc une solution : étudier l'histoire complète et exacte d'une
découverte sur un an.
Ghyslaine Deslaurier, au nom de la Direction générale de l'enseignement scolaire prend la parole :
Quels
étaient les objectifs du concours ? éveiller une curiosité à la Science, encourager les filles à devenir
des scientifiques et préparer le futur citoyen à appréhender la société qui
l'entoure.
Selon
Gaston Bachelard l'imaginaire et la rationalité sont deux actions mentales
irréductibles, une chose étant de penser scientifiquement et une autre de rêver
poétiquement.
Ainsi,
dans ce concours, il était demandé de « rêver scientifiquement et de
penser poétiquement. »
Après
ce mot de la fin , a suivi la remise des prix dans les trois catégories de
nouvelles : "étudiants scientifiques", "grand public" et
"les élèves du secondaire".
Marguerite
Bertrand
Mélanie
Régnier
Virginie
Leclercq
Isabelle
Thibaudet
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