Compte rendu de l’intervention de Mme Fossurier, jeudi 11 février 2016
Le jeudi 11 février 2016, la classe de seconde Sciences et
Patrimoine a pu assister à une intervention de Carole Fossurier, anthropologue
à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui
était venue nous faire découvrir sa discipline, l’archéo-anthropologie. Elle a
entamé sa présentation par quelques mots sur l’archéologie préventive (notion avec
laquelle notre classe s’était familiarisée lors de l’intervention de Yannick
Labaune), grâce à laquelle 80% des sites ont été découverts, puis étudiés au
moyen de fouilles et d’un grand nombre d’expertises ; elle nous a ensuite parlé
de sa spécialité, le domaine funéraire. Dans ce contexte, elle a alors pu nous
détailler les différentes facettes de l’archéo-anthropologie, à laquelle on a
recours lors de l’étude de sites funéraires.
S’il s’agit d’une sépulture, son
étude constitue la première phase du travail ; c’est ainsi qu’on cherche
ses modes de construction, dans la terre (fosse) et en surface (dans le cas où
un monument s’élève au-dessus), après quoi les archéologues se livrent à une
analyse taphonomique, c’est-à-dire qu’ils étudient la position des ossements
trouvés.
Ces derniers sont ensuite envoyés
en laboratoire afin de subir une analyse biologique, qui permettra de
déterminer différentes caractéristiques de l’individu inhumé, comme son sexe,
son état de santé, son âge ou encore son activité, grâce aux éventuelles
séquelles qu’il en aurait gardées (dans le cas de l’équitation, par exemple).
Le site est ensuite lui-même analysé, grâce à une
confrontation des différents éléments relevés, comme la tombe, le type de
population enterrée, les caractéristiques géologiques et géographiques…Toutes
ces informations permettent une compréhension globale du site.
Mme
Fossurier a ensuite donné un exemple de site funéraire important à l’époque
antique, à savoir la nécropole autunoise de Pont-l’Evêque. Elle a été
fréquentée du Ier siècle avant Jésus-Christ au IVème siècle et présente une
grande variété de structures. La
nécropole comporte ainsi une large zone d’incinération. Elle était composée de
grandes fosses sur lesquelles des bûchers étaient édifiés et dans lesquelles
ils s’écroulaient à la fin de la combustion. On y a découvert des résidus de
crémation, et des ossements placés dans des urnes, parfois elles-mêmes
contenues dans des coffres.
Mais les archéologues ont majoritairement retrouvé des
restes d’inhumations, rituel qui a rapidement supplanté celui de la crémation.
Certains défunts avaient été placés dans des cercueils ; les archéologues
ont alors retrouvé des clous, et l’étude de leur position a révélé que les
planches avaient été utilisées en tant que réemploi. On a également découvert
que plusieurs corps, à défaut de cercueil, avaient été abrités sous des
matériaux (tuiles…) disposés en bâtière (c’est-à-dire appuyés l’un contre
l’autre de façon à ménager une double pente) ; pour les très jeunes
enfants, une demi amphore faisait parfois l’affaire. Toutes ces réutilisations donnent
l’image d’une population modeste ; pourtant, certaines tombes d’enfants
comportaient un mobilier important : ici, on pourrait supposer que la
famille portait une affection vive au jeune défunt.
Notre
intervenante a alors décidé de nous présenter les pratiques funéraires du haut
Moyen-Âge, du Vème au Xème siècle après Jésus-Christ, avec l’exemple du site
alsacien d’Ichtratzheim, sur lequel on peut constater un mélange des influences
chrétienne et germanique, puisque la sépulture centrale, autour de laquelle se
groupent toutes les autres tombes, se présente sous la forme d’un tumulus,
héritée des traditions germaniques.
Une analyse
taphonomique a révélé plusieurs traces de contraintes sur les ossements, au niveau
des orteils en raison des dimensions du sarcophage, ainsi qu’à celui des côtes,
ce qui indique la présence de vêtements.
L'inscription runique "Abuda" sur le dos de la cuillère en argent. |
Autour des
restes, les archéologues ont retrouvé un mobilier très riche, parmi lequel on
compte un bassin en
bronze, une bague en or, un bracelet d’argent, une boule de cristal, des
ossements de castor et de grenouilles, et enfin une cuiller en argent marquée
d’une croix chrétienne et de deux inscriptions runiques :
« lapela », c’est-à-dire « cuillère », et
« Abuda », probablement le prénom de la personne inhumée.
Les chercheurs ont pu constater que cette tombe
mérovingienne avait été la seule, de toute la nécropole, à ne pas avoir été
pillée. En confrontant ce constat avec les indices relevés sur le mobilier (sa
richesse, la présence de croix et d’inscriptions sur la cuiller), ils ont pu
déduire qu’« Abuda » avait été une érudite, localement célèbre et
possédant un certain rayonnement religieux, et que ces différents facteurs
avaient réussi à dissuader les pillards d’aller ouvrir sa tombe.
L’anthropologue nous a ensuite
présenté les rites funéraires pendant le reste du Moyen-Âge et à l’époque
moderne, sur une période s’étalant du Xème au XVIIIème siècle.
A partir du
Xème siècle, les villages sont organisés selon une polarité sacrale,
c’est-à-dire regroupés autour d’une église. Cela coïncide avec l’entrée des
morts dans la ville, parmi les vivants : on parle alors d’organisation
paroissiale, et il devient important pour la population de se faire enterrer à
proximité de l’église, afin d’être au plus près de Dieu.
Afin d’illustrer cet exemple, Mme Fossurier nous a présenté la basilique royale de Saint-Denis avec son environnement. L’analyse biologique des sépultures a permis de déterminer quel groupe social était inhumé à quel endroit, chaque os donnant des informations sur le niveau de vie de l’individu auquel il appartenait. Les archéologues ont ainsi pu classer les squelettes en différentes catégories selon les séquelles qu’ils présentaient, en remplissant des fiches de conservation. Ainsi, l’hypoplasie de l’émail dentaire, les cribra orbitalia ou encore les traces de tuberculose sont des signes d’appartenance à une couche sociale défavorisée, tandis qu’un individu atteint de la maladie hyperostosique aura probablement été un moine, et des os présentant des fractures et des insertions musculaires importantes auront sans doute appartenu à un cavalier, c’est-à-dire, pour l’époque, un membre de la noblesse. Les archéologues ont ainsi pu constater que selon la place qu’ils avaient tenue de leur vivant dans la société, les individus étaient répartis dans des secteurs différents autour de la basilique
L'une des diapositives de la présentation de Mme Fossurier, indiquant la répartition des sépultures en fonction du milieu social |
Il se trouve que dès la
création du site, il fallut gérer de nombreux décès, ce qu’indique un grand
nombre de fosses communes, dans lesquelles les cadavres étaient néanmoins
placés en cercueils, placés sur chant afin de gagner de l’espace. Le nombre de
morts ayant encore augmenté en raison des conquêtes napoléoniennes et de la
fièvre typhoïde, il fut décidé, pour des raisons sanitaires, que les cadavres
devraient être recouverts de chaux vive ; cette décision n’était pas
toujours observée puisque les archéologues en ont retrouvé des blocs solidifiés
au-dessus de squelettes quasi-intacts.
Ensuite, au cours du
XIXème siècle, une école de médecine s’est développée, qui a pratiqué
l’autopsie sur des cadavres ensuite enterrés dans le cimetière de l’hôpital.
Les archéologues ont ainsi retrouvé des crânes et des côtes découpés pour les
besoins de la dissection, portant les traces de divers instruments (scie,
hachoir…).
Les inondations
produites par le canal des environs, jointes à l’abondance des dépouilles
entassées au même endroit, entraînèrent de nombreuses plaintes des habitants
des environs, évoquant les « exhalaisons pestilentielles » du
cimetière. C’est ainsi qu’en 1841, il a été déplacé à l’endroit qu’il occupe
actuellement.
Nous avons pu remarquer
ensemble la place tenue par les morts au fil du temps : dans l’Antiquité,
ils étaient tenus, pour des raisons religieuses, à l’écart de la société des
vivants, ils y ont été intégrés à partir du Moyen-Âge et sont ressortis des
villes à l’Epoque Moderne, pour des questions d’hygiène cette fois.
Enfin, Mme Fossurier a
conclu en récapitulant les différents aspects de l’archéologie et de l’archéo-anthropologie,
qui constituent les clés de compréhension d’un site archéologique ; elle a
également cité différentes disciplines, complémentaires de son métier, comme la
céramologie, la xylologie, l’archéozoologie, la carpologie (étude des fruits et
des graines) ou encore la biologie moléculaire (utile pour déterminer les
traces de certaines maladies comme la peste)… Notre classe a bien pu se rendre
compte que l’archéo-anthropologie évoluait avec le temps afin de mieux cerner
le passé de l’Homme.
La fin de la
présentation a été suivie de plusieurs questions, émanant aussi bien des élèves
que de M. Martin, qui avait assisté à cette intervention en sa qualité de
professeur d’histoire. Mme Fossurier nous a ainsi présenté son parcours
d’étude, qui avait d’ailleurs commencé par le Lycée Bonaparte où elle avait
effectué une filière S, avant de se terminer par une thèse
d’archéo-anthropologie à Poitiers.
L’archéo-anthropologue
funéraire a ensuite pris congé de nous, au terme de cette intervention captivante !
Source image (cuiller) :
Inrap, http://www.images-archeologie.fr/userdata/icono_fiche/8/8564/670x510_8564_vignette_S-0122-copie.jpg
Un article de très grande qualité ! Bravo !
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